Les dix arnaques dans les contrats de la musique

 



Les dix arnaques dans les contrats de la musique

C’est un secret pour personne : l’industrie musicale est un monde crue oĂč se mĂȘle l’appĂ©tit des grandes maisons de disques et les ambitions de jeunes artistes en quĂȘte de succĂšs. Et parfois la situation est compromise dĂšs le dĂ©but de la relation entre un artiste et son label. Faisons le point sur les 10 arnaques dans les contrats de la musique. 

 

L’avance 

A la signature de son contrat l’artiste reçoit une avance : une somme d’argent versĂ©e en prĂ©vision des recettes Ă  venir. Jusqu’ici aucun problĂšme : l’artiste reçoit une bouffĂ©e d’oxygĂšne libellĂ©e en euro aprĂšs des annĂ©es de travail dans le monde de la musique. Sauf que ce mĂ©canisme peut s’avĂ©rer pervers lorsque que les recettes engrangĂ©es par la maison de disque ne suffisent pas Ă  rembourser l’avance versĂ©e. L’artiste se trouve alors dans une situation dĂ©licate oĂč il doit de l’argent Ă  son label ! C’est le cas pour de nombreux artistes : Tyga est ressorti “broke” de son contrat avec Birdman par exemple. 

A partir de ce moment, la relation n’est pas censĂ©e s’amĂ©liorer. La confiance artiste/label va disparaĂźtre et la pression se fera ressentir pour sortir d’autres projets et rembourser l’avance. Mais qui dit nouveaux projets, dit nouveaux frais (studio, promotion) ce qui risque d’aggraver l’ardoise de l’artiste. On rentre alors dans un cercle vicieux dont l’issue ne sera pas Ă  l’avantage de l’artiste. Et mĂȘme, si label dĂ©cide d’arrĂȘter les frais et de casser le deal, l’artiste aura peut-ĂȘtre du mal Ă  retrouver un nouveau label qui lui fera confiance. 

Pour Ă©viter ce genre de mĂ©saventure, ne pas se fier au buzz d’un artiste. Certains artistes profitent d’une Ă©norme hype, signent avec une grosse avance mais leur succĂšs sur les rĂ©seaux ne se traduit pas dans les ventes, les followers ne se transforment pas en “vrais” fans et les problĂšmes arrivent… 

 

Les frais cachĂ©s 

Les deals signĂ©s entre artistes et labels prĂ©voient une rĂ©partition des royalties. Cette rĂ©partition peut aller de 85% pour le label, 15% pour l’artiste dans le cas des contrats d’artiste, et jusqu’Ă  50-50 dans le cas des contrats de distribution. Sauf que les labels ont souvent l’habitude de mettre Ă  la charge exclusive de l’artiste les frais d’enregistrement, de promotion et autres, ce qui diminue la part de l’artiste. 

Faisons le calcul ! Un artiste vend 50 000 exemplaires pour son premier album et accroche le disque d’or au mur ! Il gĂ©nĂšre environ 400 000  de recettes . Disons que l’artiste touche 20% des revenus, ce qui fait 80 000  pour lui, moins les frais : – 3000  de studio, – 2000  pour les instrumentals, – 20 000  pour 3 clips, – 20 000  de promotion, – 50 000  d’avance et il lui reste … 15 000 de dettes. 

J’oublie les impĂŽts, les charges, les frais d’avocat, la commission de son manager, etc.
C’est notamment Ă  cause de ses nombreux frais cachĂ©s que Megan thee Stallion a rĂ©cemment denoncer sa situation contractuelle avec son label 1501 Entertainment. Future expliquait aussi qu’il “arrive rĂ©guliĂšrement que les labels rĂ©clament des frais d’hĂŽtel, de nourriture ou de transport relatifs [Ă  votre] deuxiĂšme album, alors que vous en ĂȘtes au cinquiĂšme” 

Le constat fait froid dans le dos! Mais on se rassure, les artistes gagnent aujourd’hui essentiellement leur vie grĂące aux concerts, showcases, vente de merchandising et autres ce qui contrebalance les pertes et peut faire passer le solde dans le positif. 

 

Etre mineur 

Bon nombre de jeunes talents ont commencĂ© trĂšs tĂŽt leur carriĂšre et ont signĂ© avant leur 18 ans (Justin BieberNinho…). Cependant, avant sa majoritĂ©, la signature de l’artiste doit obligatoirement ĂȘtre accompagnĂ©e de celle de ses parents, Ă  dĂ©faut le contrat est nul. La loi protĂšge ainsi les mineurs afin qu’ils ne signent pas sans rĂ©flĂ©chir des contrats toxiques. 

En 2017, en pleine explosion du phĂ©nomĂšne Lil Pump, ce dernier cherche Ă  sortir d’un deal qu’il avait signĂ© Ă  ses 16 ans. Ses avocats parviendront Ă  casser le deal, lui permettant de faire monter les enchĂšres et de resigner avec le mĂȘme label (Warner Bros records) pour un pactole (ie. une avance) de 8 millions de dollars. 

 

DurĂ©e du contrat et levĂ©e d’option 

Par la clause de levĂ©e d’option, la maison de disque se rĂ©serve le droit de renouveler le contrat (l’artiste ayant acceptĂ© au prĂ©alable cette Ă©ventualitĂ©). Le label peut ainsi maĂźtriser le risque liĂ© Ă  la signature d’un artiste. Si le projet marche bien, il lĂšve la clause pour faire un second projet. Mais si les choses tournent mal, le label ne veut pas se retrouver les mains liĂ©es pour plusieurs projets et peut refuser de lever la clause (on arrĂȘte les frais!). AprĂšs tout, quand un label signe un artiste, il souhaite rentabiliser au maximum son investissement, surtout que les retombĂ©es Ă©conomiques peuvent arriver en diffĂ©rĂ© le temps que l’artiste acquiert de la notoriĂ©tĂ©. 

Mais attention, en cas de levĂ©e d’option, c’est le mĂȘme contrat qui perdure avec les mĂȘmes conditions. Il est donc important de bien nĂ©gocier le contrat dĂšs la premiĂšre fois (mĂȘme si l’artiste n’est pas forcĂ©ment en position de force), car il n’obtiendra pas plus (de royalties, de libertĂ©s…) en cas de levĂ©e d’option. Sinon l’artiste doit tenter d’insĂ©rer une clause prĂ©voyant la renĂ©gociation du contrat en cas de levĂ©e d’option. 

En outre, les contrats doivent obligatoirement prĂ©voir une durĂ©e maximale et l’artiste ne devrait pas s’engager pour plus de 3 projets ou une pĂ©riode maximale de 3-4 ans. 

  

Les Ă©chĂ©ances de paiement 

Le systĂšme français de versement des royalties par la SACEM n’intervient seulement que 2 fois par an (mais la remarque vaut aussi pour la plupart des contrats amĂ©ricains). Sans ĂȘtre vraiment un piĂšge, il faut savoir avant de signer qu’un artiste ne percevra les fruits de son travail que tous les 6 mois. Attention donc Ă  ne pas griller trop vite ses Ă©conomies notamment, lorsque l’on connaĂźt les nombreux domaines de perdition des artistes… En revanche, les rentrĂ©es d’argent liĂ©es aux concerts (et autres sources de revenus) peuvent ĂȘtre plus frĂ©quentes. 

 

Les masters : le nerf de la guerre 

Les droits de mastering concernent les droits sur la version finale du morceau enregistrĂ©. Il s’agit d’un Ă©lĂ©ment crucial, car ces droits permettent de toucher les royalties issus de l’exploitation du morceau et de contrĂŽler le catalogue musical de l’artiste (avec la possibilitĂ© de vendre ou de mettre sous licence le catalogue). Le label s’assure la propriĂ©tĂ© des masters en proposant une avance aux artistes. 

La plupart des artistes ont ainsi acceptĂ© de cĂ©der leurs droits de mastering, mais ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux (de Taylor Swift Ă  2Chainz) Ă  dĂ©noncer ce systĂšme et tentent de regagner le contrĂŽle de leurs oeuvres. C’est une question majeure d’indĂ©pendance Ă©conomique et crĂ©ative ! Pour l’anecdote, Prince avait refusĂ© une collab au rappeur Nas, car il n’Ă©tait pas propriĂ©taire de ses masters. Prince voulait pas perdre son droit de mastering en cas de featuring. 

Certains artistes, en Ă©voluant dans leur carriĂšre, peuvent obtenir l’influence nĂ©cessaire pour racheter leurs masters et devenir propriĂ©taire de leur catalogue. C’est le cas du producteur californien DJ Mustard qui est dĂ©sormais Ă  la tĂȘte de son propre label 10 Summers records qui compte en son sein Ella Mai. Mais s’il n’est pas possible d’obtenir le contrĂŽle de ses masters pour un jeune artiste, il doit au moins essayer de nĂ©gocier une plus grande part des royalties ou bien la possibilitĂ© de racheter/rĂ©cupĂ©rer ses masters au bout d’un certain temps d’exploitation. 

 

Le 360 Deal 

Le contrat 360 consiste Ă  exploiter l’ensemble des sources de revenu de l’artiste. En plus de produire la musique, le label va s’occuper des concerts, du merchandising, des contrats publicitaires et prendre Ă  chaque fois un pourcentage des revenus. Ce contrat peut avoir l’avantage de multiplier les revenus de l’artiste sans effort de sa part. Tout lui est servi sur un plateau par son label. 

Sauf qu’il n’est jamais bon de mettre tous ses oeufs dans le mĂȘme panier et de dĂ©pendre totalement de son label. L’artiste perd toute indĂ©pendance et le label prend (le plus souvent) une commission beaucoup plus grande que si l’artiste avait fait appel Ă  un tourneur pour ses concerts, Ă  un agent pour sa marque, etc. Bref, le 360 deal est souvent dĂ©criĂ© comme un moyen d’exploiter au maximum un artiste/salariĂ© Ă  tout niveau, avant sa date de pĂ©remption. 

 

Le contrat de management 

Pour avoir plus de contrĂŽle sur la carriĂšre d’un artiste, le label peut glisser un contrat de management dans un contrat d’enregistrement. Le label pourra ainsi dĂ©finir la direction artistique et le management de l’artiste. MĂȘme si certaines personnes comme Oumar SamakĂ© peuvent remplir Ă  merveille cette double casquette producteur/manager (pour DossehDinos), le constat est le mĂȘme que pour le 360 deal : il n’est jamais bon de mettre tous ses oeufs dans le mĂȘme panier… 

En effet, l’artiste a tout intĂ©rĂȘt d’avoir un manager extĂ©rieur au label qui puisse le conseiller au mieux de ses intĂ©rĂȘts (qui seront parfois divergents de ceux du label), le reprĂ©senter et nĂ©gocier auprĂšs du label. Autrement, l’avis d’un artiste en dĂ©but de carriĂšre risque de peu compter face au poids d’une major de l’industrie du disque. 

 

Garder la propriĂ©tĂ© de son nom d’artiste 

Il arrive que le label dĂ©tient les droits sur le nom de l’artiste ou du groupe de musique. C’est notamment le cas pour des boys band ou des groupes montĂ©s par les labels. Mais sans la propriĂ©tĂ© de son nom, les chances d’Ă©mancipation de l’artiste ou du groupe sont trĂšs faibles. Leur carriĂšre est entre les mains du label et la seule solution pour s’Ă©manciper est de changer de nom (au risque de perdre une partie de sa fan base) ou de racheter les droits sur son nom (peine perdue!). 

Mathew Knowles, le pĂšre de BeyoncĂ©, est restĂ© propriĂ©taire exclusif du nom “Destiny’s Child” dont il Ă©tait manager. On parle aujourd’hui beaucoup d’un retour du groupe, mais il est toujours impossible pour les Destiny’s Child de se reformer et de partir en tournĂ©e avec leur nom d’origine sans l’accord de Mathew Knowles. Certes, elles peuvent remplacer leur nom de groupe par leur nom propre ( BeyoncĂ© Kelly Rowland et Michelle Williams ) mais l’impact mĂ©diatique et marketing sera indĂ©niablement moins fort! 

 

MaĂźtriser sa carriĂšre, son emploi du temps, son contrĂŽle artistique 

Lorsqu’un artiste signe avec un label, certaines obligations peuvent aller trĂšs loin dans le contrĂŽle de la direction artistique et managĂ©riale de l’artiste. Parmi les contraintes souvent dĂ©noncĂ©es par les artistes : l’interdiction (ou l’autorisation du label) pour monter sur scĂšne avec d’autres artistes ou faire des featurings. À une pĂ©riode, les artistes signĂ©s chez Cash Money Records (Lil WayneNicki MinajDrake) ne pouvaient pas prendre l’avion sans Birdman le patron du label. 

Autre gros point de friction : l’autorisation du label pour sortir des nouveautĂ©s. Beaucoup d’artistes (Lil Uzi Vert, Megan Thee Stallion…) se sont plaint de ne pas pouvoir “release” de nouveaux morceaux quand il le souhaite, crĂ©ant la frustration chez eux et leurs fans et de fortes tensions avec leur label. TroisiĂšme problĂšme : l’obligation de faire une tonne d’interviews. Ce marathon mĂ©diatique peut parfois ĂȘtre Ă©puisant notamment lorsque les artistes sont en tournĂ©e. C’est la raison pour laquelle vous voyez si souvent des artistes blasĂ©s en interview ne faisant aucun effort pour rĂ©pondre aux questions du journaliste. 

Adrien Francius

Juriste spécialisé en propriété intellectuelle

5 commentaires

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    Yayat

    29 Mars 2021
    RĂ©pondre

    Bonjour, Si un contrat de cession dans lequel il y a seulement la signature de l'artiste , donc pas de signature de l'éditeur ou de la société, est-ce normal que que son album soit exploité avec seulement une signature ? le contrat est-il valide avec une seule signature ? DE plus, cette société a gardé les deux exemplaires originaux, est-ce normal aussi? Merci de votre réponse,

    1. Sample Image

      Hello. Pour valider un contrat il faut bien la signature de toutes parties concernĂ©es. Pour les Ă©ditions, entre autres, et de plus en plus notre industrie, les contrats et signatures Ă©lectroniques sont suffisant en eux-mĂȘmes. Bonne continuation Ă  toi !

      1. Sample Image

        Yayat

        29 Avr 2021
        RĂ©pondre

        Bonjour, Merci beaucoup pour votre réponse ! Un grand merci pour votre article qui m'a beaucoup aidé ! :)

  • Sample Image

    Sans les deux signatures, le contrat est nul donc vous recevrez aucune redevance, ni rémunération, sauf en espÚce, qui est interdit.

  • Sample Image

    Bonjour, Je suis artiste et j'ai 4 titres de demos d'une minutes et m 'ont rĂ©pondu ceci. Dites-moi si c'est honnete ou pas de leur part. Cordialement Bonjour, Merci pour votre mail et l’intĂ©rĂȘt que vous portez Ă  notre label. Vous pouvez envoyer votre album Ă  notre Ă©quipe artistique Ă  l’adresse @totoutard.net . Si votre projet les intĂ©resse ils reviendront vers vous. Veuillez noter qu’il y a un dĂ©lai de 2 Ă  3 mois avant un retour, Ă©tant donnĂ© le trĂšs grand nombre de projets qu’ils reçoivent. Bonne journĂ©e,

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